Le réseau électrique wallon, sous-dimensionné face à l’essor du photovoltaïque, est au cœur d’une crise qui pénalise lourdement les producteurs d’énergie verte. Des milliers de propriétaires de panneaux solaires voient leurs onduleurs décrocher, paralysant leur production aux heures les plus cruciales. Face à ce manque à gagner conséquent, l’ASBL BeProsumer monte au créneau pour exiger des mesures concrètes et une juste indemnisation. Plongée dans un dossier complexe où les responsabilités sont pointées du doigt et les solutions peinent à émerger.
Le déploiement massif des installations photovoltaïques en Wallonie, initialement perçu comme un pilier de la transition énergétique, révèle aujourd’hui ses effets pervers. Les « prosumers », ces citoyens producteurs-consommateurs, sont de plus en plus nombreux à subir des décrochages intempestifs de leurs onduleurs. Ce phénomène technique, qui survient lorsque le réseau local est saturé par un excès de production, met leur installation à l’arrêt, précisément au moment où elle devrait être la plus rentable. La situation pourrait concerner un nombre alarmant de foyers et soulève des questions fondamentales sur la modernisation du réseau, la responsabilité des gestionnaires et la nécessité d’une compensation équitable.
Un problème d’ampleur : un tiers des installations serait concerné
Loin d’être un incident isolé, le décrochage des onduleurs serait devenu un problème systémique. Selon les estimations de Régis François, porte-parole de l’ASBL BeProsumer, un foyer wallon sur trois équipé de panneaux photovoltaïques pourrait être directement affecté. Rapporté aux plus de 350 000 installations que compte la région, ce chiffre suggérerait que près de 100 000 ménages subissent des pertes de production significatives, transformant un investissement écologique et économique en une source de frustration.
Cette saturation du réseau serait la conséquence directe d’un manque criant d’anticipation et d’investissement dans les infrastructures de distribution. « On a laissé clairement [le réseau se dégrader], c’est un petit peu comme un bâtiment dans lequel vous ne faites pas les travaux récurrents », illustre Régis François. Le réseau, conçu pour un flux d’énergie unidirectionnel, n’a pas été adapté à temps pour gérer l’injection massive et décentralisée d’électricité. Les investissements colossaux nécessaires pour sa modernisation, chiffrés en milliards d’euros d’ici 2035, seraient désormais inévitables. Leur coût devrait, de plus, être supporté par l’ensemble des consommateurs via une augmentation des tarifs de réseau, qu’ils possèdent ou non des panneaux solaires.
L’indemnisation : une promesse politique qui tarde à se concrétiser
Face à ce préjudice évident, la déclaration de politique régionale du gouvernement wallon avait suscité l’espoir en promettant une indemnisation « proportionnelle » aux pertes subies. Cependant, près d’un an après cette annonce, les prosumers sont toujours dans l’expectative. Selon BeProsumer, une proposition aurait bien été formulée par ORES, le principal gestionnaire de réseau, et transmise au cabinet de la ministre de l’Énergie. Mais à ce jour, aucune décision officielle n’a été communiquée, laissant les ménages concernés dans l’incertitude.
Cette inaction a des conséquences financières directes, car chaque journée ensoleillée peut représenter une perte sèche pour les installations qui décrochent. Face à cette situation jugée inacceptable, l’ASBL BeProsumer a annoncé préparer une action en justice collective. L’objectif est de mutualiser les plaintes et de représenter ses membres en justice pour obtenir une réparation formelle des préjudices accumulés.
Les batteries de quartier : une solution techniquement bloquée par la réglementation
Une solution technologique souvent avancée serait l’installation de batteries de stockage à l’échelle d’un quartier ou d’un village. Celles-ci pourraient absorber le surplus d’énergie lors des pics de production pour le réinjecter plus tard, lissant ainsi la charge sur le réseau. Cependant, cette piste se heurte à un obstacle réglementaire majeur. La CWaPE, le régulateur wallon de l’énergie, n’autoriserait pas les gestionnaires de réseau de distribution (GRD), comme ORES ou Resa, à posséder et opérer de telles unités de stockage dans un cadre régulé.
Cette contrainte légale reporte la responsabilité de la solution sur les acteurs privés ou les particuliers eux-mêmes. Ces derniers se voient donc contraints d’investir des milliers d’euros supplémentaires dans une batterie domestique, non pas pour optimiser leur autoconsommation, mais pour pallier les défaillances d’un réseau public pour lequel ils paient déjà une redevance.
Le tarif prosumer : faut-il payer pour un service défaillant ?
La question du tarif prosumer, cette redevance annuelle facturée pour l’utilisation du réseau, est au cœur des débats. De nombreux prosumers s’interrogent sur la légitimité de payer intégralement pour un service qui ne leur permet pas d’injecter leur production lorsque les conditions sont optimales. BeProsumer a proposé d’explorer une piste : dispenser, au moins partiellement, les foyers victimes de décrochages avérés de ce tarif.
Toutefois, d’un point de vue strictement légal, le tarif prosumer est une redevance forfaitaire pour le droit d’utiliser le réseau, tandis que le décrochage est un problème technique de capacité. Dissocier les deux nécessiterait une adaptation des textes réglementaires, une voie qui, selon Régis François, semble pour l’instant peu probable d’être suivie par le législateur.
Le compteur communicant : un outil de mesure indispensable, mais pas une solution
Une confusion persiste autour du rôle du compteur communicant. Il est crucial de comprendre que son installation ne résout en rien les problèmes de décrochage. Sa fonction est de mesurer avec précision les flux d’électricité, y compris les interruptions de production. Il agit comme un « tensiomètre », selon la métaphore de Régis François : il pose un diagnostic, mais ne guérit pas la maladie.
Néanmoins, ce compteur est un allié indispensable pour les prosumers lésés. Il est le seul outil qui permet d’objectiver de manière irréfutable la fréquence et la durée des décrochages. Ces données sont essentielles pour constituer un dossier solide en vue d’une demande d’indemnisation ou d’une action en justice. Pour les détenteurs d’un compteur qui « tourne à l’envers », le passage au communicant ne modifie pas le principe de compensation. Son installation est d’ailleurs devenue légalement obligatoire.
Quelles démarches pour les citoyens affectés ?
Pour tout prosumer confronté à des décrochages, la première étape est de signaler officiellement le problème à son gestionnaire de réseau. Cette démarche déclenchera généralement une analyse et, si nécessaire, l’installation d’un compteur communicant pour quantifier le phénomène.
Si aucune solution n’est proposée dans un délai de deux mois, le citoyen peut se tourner vers le Service Régional de Médiation de l’Énergie, hébergé par la CWaPE. Pour les préjudices plus importants, un recours individuel devant un juge de paix reste possible, bien que la technicité du débat puisse désavantager le particulier. C’est dans ce contexte qu’une action collective, structurée et portée par une association comme BeProsumer, pourrait offrir la meilleure chance d’obtenir enfin gain de cause.